Laura Déléant, Université de Lorraine; Anne Vicente, Université de Lorraine et François Allard-Huver, Université de Lorraine
Pratiquée de façon systématique dans le monde scientifique, la communication est un exercice central, complexe, et qui répond à des codes propres au monde académique, avec des spécificités d’une discipline à l’autre. Véritables « fourches caudines » de la recherche, les colloques, conférences, congrès, de niveau national, européen ou international obligent à transmettre des connaissances complexes, parfois le fruit de longues années de recherche, en seulement quelques minutes.
Ainsi, restituer ses travaux dans un temps généralement inférieur à 20 minutes constitue bien souvent la première épreuve qu’affronte un jeune chercheur. Cependant, ces évènements conduisent aux regroupements d’experts d’un ou plusieurs domaines, qui possèdent, pour la plupart du temps, un bagage scientifique solide ainsi qu’une bonne connaissance de la méthodologie de recherche. C’est lorsque le public est novice en la matière que le problème se corse.
Varier les publics
Comme le disait le philosophe Fontenelle dans ses Entretiens sur la pluralité des mondes, s’il s’agit de « divertir » ceux qui ont « quelque connaissance en leur présentant d’une manière un peu plus agréable et plus égayée ce qu’ils savent déjà plus solidement », le défi est double vis-à-vis de « ceux pour qui ces matières sont nouvelles » : il s’agit à la fois de les instruire tout en leur donnant envie d’aller plus loin dans cette exploration de la connaissance.
Né en 2012 en Angleterre, importé deux années plus tard en France par Élodie Chabrol, et aujourd’hui présent dans 21 pays dont la Suisse, l’Irlande, les États-Unis et l’Australie, Pint of Science (PoS) vise cette pluralité de publics. Dans l’Hexagone, le festival est organisé chaque année en mai, et reprend le temps de la Fête de la Science en octobre.
Le principe ? Permettre au grand public de rencontrer des acteurs de la science autour d’une bière (à consommer avec modération) ou de toute autre boisson de votre choix ! Plusieurs rencontres se passent en simultané dans différents bars proposant chacun des thématiques variées. Pour cela (presque) tout est permis : illustrations, vidéos, théâtre, quiz, time’s up, brainstorming, devinettes… Des sciences naturelles aux sciences humaines, l’objectif est de rendre le contenu dynamique et accessible, tout en favorisant les échanges dans un cadre décontracté et convivial.
Tour d’ivoire ou tournée au bar ?
En 2017, le Festival Pint of Science réunit 34 villes et 10 000 participants. L’édition PoS 2018 a eu lieu dans une quarantaine de villes de France avec plus de 300 évènements proposés sur tout le territoire. Le succès de PoS témoigne bien des rapports riches entre la recherche et ses publics, loin du mythe du chercheur enfermé dans sa tour d’ivoire. En abordant des thématiques aussi spécifiques que « les parasites zombificateurs », « les mesures de stress en impesanteur » ou encore « les interfaces tangibles pour l’enseignement » (une partie du programme Pos 2018, Metz et Nancy) et dans des évènements bien souvent à guichets fermés, PoS montre bien que la recherche est loin de faire peur au grand public, bien au contraire ! Parmi les participants ayant répondu aux enquêtes des soirées PoS sur les villes de Metz et Nancy, 77,8 % ont fait/font des études scientifiques. Pas loin d’un quart du public n’a aucune notion en matière de Science et pourtant s’y intéresse.
En réalité, ce sont les évènements restreints « aux experts » qui créent cette fracture entre société et recherche. Pourtant, la recherche émane des demandes sociétales : elles ne forment qu’un. Les inventeurs de Pint of Science l’ont bien compris. Les Drs Michael Motskin et Praveen Paul, deux chercheurs londoniens ont découvert la curiosité et la fascination que les citoyens portent aux sciences en ouvrant les portes de leur laboratoire. Le festival PoS témoigne de l’envie des chercheurs de rencontrer et d’échanger avec la société, mais également l’intérêt et l’attachement que porte le grand public à la recherche publique et à ceux qui l’exercent.
Si l’exercice permet la rencontre entre chercheurs et grand public, il permet aussi de mettre en lien des chercheurs de disciplines différentes. Les soirées étant sur des thématiques particulières, le but est aussi de réunir des experts de différents domaines autour d’un sujet commun. Naissent alors des collaborations d’un soir qui permettent d’enrichir les débats, débouchant parfois même sur des collaborations à plus long terme.
Laura Déléant, Doctorante en Ergonomie Cognitive, Université de Lorraine; Anne Vicente, Doctorante en écotoxicologie microbienne, Université de Lorraine et François Allard-Huver, Maître de conférences, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.