Nicolas Hulot face au « mur des lobbies »

L’annonce-surprise de la démission de Nicolas Hulot, en pleine rentrée gouvernementale, aura sans aucun doute étonné une partie du gouvernement et de l’opinion. Elle s’inscrit cependant dans la suite logique d’une série de compromissions et de grands écarts qui ont mis le ministre de la Transition écologique et solidaire dans une position difficile, voire intenable.

Au fil d’une année riche en dossiers lourds et complexes, celui du glyphosate au premier rang, le mandat du parfois controversé Monsieur « Ushuaïa » n’a pas été un long fleuve tranquille, tant les arbitrages de Matignon et de l’Élysée ont pu le placer en porte à faux de ses convictions et engagements.

Lors des controverses et polémiques autour de certains dossiers – nucléaire, pesticides et transition agricole par exemple –, le ministre d’État apparaît avoir eu moins de poids que certains lobbies, voire d’autres ministères, ceux de l’Agriculture et de l’Économie notamment. Plus encore, il est revenu à l’ancien animateur télé d’avoir à assurer la promotion de décisions diamétralement opposées à ses engagements passés. Son mandat a pu ainsi ressembler, au mieux, à un simple exercice de communication gouvernementale, au pire, à un véritable cas d’étude de greenwashing.

À force de se heurter au « mur des lobbies », Nicolas Hulot a fini par démissionner, sans en informer Édouard Philippe ni Emmanuel Macron ; cela marque un grand désarroi mais également un manque de compréhension mutuelle, après seulement 15 mois passés au gouvernement. Sans faire ici le bilan de ce court mandat, il est intéressant de revenir sur quelques dossiers phares qui témoignent des contradictions de la politique écologique d’Emmanuel Macron.

La « caution écologique » de la présidence Macron

Avec son pacte écologique, lancé en 2007, l’ancien animateur télé tente depuis longtemps d’inscrire les enjeux écologiques au cœur de la vie politique française, et en particulier de l’élection présidentielle. Longtemps courtisé par différents partis politiques, de l’UMP au PS, et après une candidature malheureuse à la primaire d’Europe Écologie-Les Verts en 2011, il refuse plusieurs fois d’intégrer le gouvernement de Manuel Valls, malgré les demandes insistantes et répétées de François Hollande.

Sa nomination en mai 2017, au ministère de la Transition écologique et solidaire, avec un rang de ministre d’État, semble incarner pleinement le renouveau voulu par Emmanuel Macron, et l’ouverture du gouvernement Philippe a des personnalités de premier plan de la société civile. Cette nomination joue en outre le rôle d’une véritable caution écologique, voire d’un souci et d’un intérêt réel d’Emmanuel Macron pour les enjeux environnementaux, tout en assurant un capital sympathie au gouvernement nouvellement formé, tant Nicolas Hulot est populaire dans l’opinion française.

Très rapidement, l’annonce en juillet 2017 de la fin de la commercialisation des voitures à essence et diesel d’ici 2040, l’inscription de l’environnement dans l’article premier de la Constitution, tout comme l’abandon définitif en janvier 2018 du projet d’aéroport à Notre-Dame des Landes sonnent comme autant de « victoires » importantes pour Nicolas Hulot.

Ces annonces sont cependant loin de constituer de réelles avancées environnementales pour la France. L’inscription de l’environnement dans la Constitution ou la volonté de s’éloigner d’un modèle énergétique basé sur les hydrocarbures d’ici 2040 sonnent comme des vœux pieux. Et le retrait du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes pourrait même ressembler une aubaine pour son futur ex-concessionnaire, le groupe de BTP Vinci : désastreux en termes d’image pour l’entreprise, le projet n’emballait plus vraiment le concessionnaire qui préférera sans doute récupérer des indemnités, dont le montant n’a pas encore été dévoilé. Loin d’être uniquement écologique, la décision semble avant tout politique et économique.

Glyphosate, cachez ce pesticide que je ne saurais interdire

Dans les dossiers évoqués pour justifier sa démission, Nicolas Hulot cite notamment les pesticides et la biodiversité, deux sujets sur lesquels les manœuvres des lobbies ont été parmi les plus agressives et efficaces. C’est sans doute sur le dossier du glyphosate que l’échec de l’écologiste semble avoir été le plus cinglant, critère vraisemblablement déterminant de son départ.

Cet herbicide suscite depuis longtemps une forte controverse dans la communauté scientifique et se trouve au cœur de nombreuses polémiques médiatiques, politiques et juridiques. La récente condamnation de Monsanto dans l’affaire qui l’oppose au jardinier Dewayne Johnson a enfoncé le coin dans une stratégie de communication et de lobbying agressive que mène l’entreprise pour défendre son produit phare, le Roundup (le glyphosate en est le principe actif). Nicolas Hulot ne sera jamais parvenu à faire inscrire la date de son interdiction dans la loi.

Sur ce point, les lobbies semblent avoir de loin dicté les choix écologiques du gouvernement et en particulier d’avoir fait pencher la balance en faveur du ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert. Le lobby de l’industrie des pesticides, l’UIPP, ou encore celui de l’agriculture « conventionnelle », la FNSEA, ont été en effet vent debout toute volonté d’interdire la molécule controversée, jugeant qu’il n’y a pour l’instant pas d’alternative valable et que l’ utilisation du glyphosate rendait, selon l’UIPP, de « réels services aux agriculteurs ».

Face au poids politique et économique de ces acteurs, le gouvernement tranche et Hulot se trouve de nouveau pied au mur.

Un « Vieux monde » bien présent

En réaction à la critique lancinante de n’être que le président des villes (et des riches), Emmanuel Macron a récemment pris une série de décisions à même de satisfaire les campagnes et certaines coteries traditionnelles. Le lobby des chasseurs a ainsi réussi à faire diviser par deux le prix du permis de chasse tout comme à faire autoriser le piégeage de certaines espèces d’oiseaux pourtant menacées.

Les lobbies de l’agriculture intensive et de l’agro-industrie ont pour leur part été choyés au Parlement lors du vote de la décevante loi sur l’Alimentation, où la plupart des amendements en faveur de l’amélioration du bien-être animal ont été rejetés.

Plus encore que l’influence des lobbies et le poids des intérêts économiques dans les décisions environnementales, ces dossiers – et tout particulièrement celui du glyphosate – sont révélateurs d’un modèle écologique de la macronie, bien loin d’un Nouveau Monde ! La phrase de Stéphane Travert, fustigeant « les petits marquis de l’écologie », traduit bien cette orientation où la question environnementale n’est ni centrale ni déterminante.

Avec le départ de Nicolas Hulot, tombé face au mur des lobbies, se valide alors l’adage chevènementiste – « Un ministre, ça démissionne ou ça ferme sa gueule » – et inscrit très nettement la politique écologique de la macronie dans l’Ancien Monde. En somme, Make our planet great again mais Economy first.The Conversation

François Allard-Huver, Maître de conférences, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.