En ce début d’année 2018, parmi les annonces les plus remarquées de Marc Zuckerberg figure l’idée de s’appuyer sur les utilisateurs de Facebook pour confirmer les sources de telle ou telle « news ». Le fondateur de Facebook souhaite que son réseau diffuse « plus de nouvelles provenant de sources largement reconnues dans notre communauté », déléguant ainsi une part du travail de vérification et de véridiction de l’information aux utilisateurs des réseaux et non plus aux seuls médiateurs traditionnels de l’information comme les journalistes – notamment le fact-checking, les chercheurs ou les experts.
Si de nombreux articles journalistiques et travaux universitaires ont été consacrés récemment aux « fake news », à la « post-vérité » et à leurs conséquences, on oublie bien souvent de se pencher sur le difficile travail de décryptage de ces informations fallacieuses tant leur nature est parfois complexe à déterminer.
Premières cibles des « infox », les utilisateurs des réseaux peuvent être les premiers à interroger la nature des informations auxquelles ils sont exposés dans la guerre du faux.
Fake ou pas fake ?
« Fake news », « fausses nouvelles », « alternative facts », « post-vérité » autant de formules qui circulent activement dans les médias et tout particulièrement sur les réseaux sociaux. Le travail de définition de ces formules et des réalités complexes qu’elles recouvrent n’en est encore qu’à ses débuts.
Leur popularité révèle cependant une certaine confusion dans l’esprit du public voire des professionnels de l’information face à la diversité des éléments qu’elles recouvrent, et certains appellent même à changer de dénomination. En effet, ces termes sont loin de désigner une seule et même dimension du faux, d’autant plus dans le cadre des « fausses nouvelles », tant il est parfois difficile d’établir si un élément est faux ou non, s’il s’agit de « mésinformation (partage malencontreux d’informations incorrectes) » ou plutôt de « désinformation » (création et partage délibéré d’informations fausses).
Il s’agit alors de distinguer la nature – parodie, faux contexte ou contenu fabriqué – des intentions – enrichissement, mauvais journalisme ou envie de nuire – de ceux qui créent, profitent et diffusent de fausses informations. Pour les professionnels de l’information, il faut aussi repérer le « click bait » profitant, par exemple, d’une actualité, ou la révélation d’un supposé complot, ce qui ne manque pas de faire rire les internautes.
Petit retour sur quelques décryptages.
#Macronleaks : un travail de décryptage à plusieurs niveaux (sémiotiques)
Deux jours avant le second tour de l’élection présidentielle, opposant Emmanuel Macron à Marine Le Pen, à seulement quelques heures de la fin de la campagne officielle, un nombre important de prétendus documents appartenant à En Marche fuitent sur les réseaux sociaux. Sous le hashtag #Macronleaks, la nouvelle circule sur Twitter, relayée par Wikileaks et reprise également par l’ancien numéro deux du Front national, qui la juge alors crédible. En marche réagit en affirmant qu’une partie des documents est bien issue d’un piratage visant à influencer les résultats de l’élection.
Dans le même temps, de nombreux utilisateurs des réseaux, journalistes, professionnels des médias et du numérique se penchent sur les emails, données et les documents « fuités ». Ainsi, une photo d’un soi-disant tweet envoyé aux militants d’En marche pour perturber une manifestation contre Marine Le Pen, s’avère être un faux grossier généré maladroitement qui décroche même la « palme du ridicule » sur le site Hoaxbuster.
Faisant preuve d’un certain flair sémiologique, certains internautes montrent le caractère fallacieux de ce « leak » en questionnant à la fois la véracité des contenus (le message porté par le texte) et la véracité des documents (le format de l’heure sur le message). Les commentaires des cadres du Front national dans cette affaire sont néanmoins très intéressants ; pour eux, peu importe la véracité ou non du faux, ce qui compte c’est que « tout le monde pensait qu’il était vrai au départ », et plus encore qu’il « est d’autant plus vrai qu’il correspond exactement à ce qu’il s’est passé ».
Le faux devient alors un fait alternatif, quelque chose qui aurait pu être la vérité, pour ceux qui cherchent à défendre le « fake » ou à se défendre d’avoir participé à sa circulation et à une opération nette de propagande.
#Ernottegate : une fausse fake news ?
Avec les « fake » rien n’est pourtant simple et, dans certains cas, le consensus sur l’interprétation même de la nature du faux déchaîne les passions et les conflits entre les médiateurs de l’information.
Ainsi, lorsque Buzzfeed dénonce une fausse vidéo montée de toutes pièces pour créer un scandale contre Delphine Ernotte, présidente de France Télévision, et relayée par David Rachline, nombre de journalistes font circuler l’information et attestent la thèse d’un faux. Cependant, Libération réfute la thèse de la fake news, arguant que la nature parodique du contenu est mise en avant par David Rachline lui-même.
S’agit-il d’un fake, d’un faux fake, d’une vraie parodie ou d’un vrai fake qui se fait passer pour une parodie (et probablement un bon piège à clics pour faire du buzz) ? Le FN joue nettement sur la confusion entre les différents types de faux, arguant la parodie quand il y a contenu fabriqué et fallacieux, pour se jouer des médias et des journalistes ou en alimentant des initiatives de « réinformation » à l’encontre des « médias officiels ».
Nonobstant les intentions de ses créateurs, la vidéo est prise au sérieux par de très nombreux militants du Front national.
Ce point nous rappelle que, quel que soit l’époque où circulent de fausses informations, ceux qui les créent font non pas simplement preuve d’un « mépris absolu et total de la vérité » mais également d’un mépris « des facultés mentales de ceux à qui elles s’adressent » (Alexandre Koyré, 1943, « Réflexions sur le mensonge »). Les militants du Front (qui n’ont pas perçu l’ironie de David Rachline) apprécieront…
Interroger l’écosystème de l’information, stimuler le sens critique du public
Face à l’explosion de fausses informations, ces deux exemples nous montrent qu’il n’est pas possible d’apporter une réponse simple au phénomène et que le travail des médias seuls n’est pas suffisant, d’autant plus auprès de certains publics qui ne leur accordent plus leur confiance.
Si les réseaux socionumériques s’associent avec les médias pour mettre en place des initiatives de vérification des informations, c’est avant tout la question de la crédulité de certains internautes qu’il faut adresser afin d’enrayer la propagation de faux tout comme la fameuse « économie du clic ».
Sans pour autant sombrer dans la judiciarisation proposée par le Président Macron, l’implication de la société civile en tant que médiateur des contenus, tout comme un travail d’éducation aux médias et de littératie numérique pour les citoyens doivent accompagner les initiatives des acteurs des médias et ce en premier lieu à l’université.
François Allard-Huver, Maître de conférences, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.