Peu importe la cause, pourvu qu’on ait de la com’ : la preuve par Robert Ménard (avec Tourya Guaaybess)

Les outils et les stratégies de communication visant à apporter une visibilité à un message ne sont ni bons, ni mauvais en soi ; c’est la façon dont on s’en sert qui les définit. Les mêmes ressorts communicationnels peuvent servir une campagne de sensibilisation ou de prévention (de santé publique par exemple), comme ils peuvent être les instruments d’une campagne de haine. Tout dépendra du message véhiculé et, par conséquent, de la cible visée. La preuve par Robert Ménard, le maire de Béziers, et sa dernière campagne d’affichage qui a fait scandale.

Robert Ménard : le journaliste, communicant, « bon client » des médias

Robert Ménard a été tour à tour journaliste dans plusieurs médias et invité “bancable” des médias ; avec lui, on est sûrs de « faire le buzz » (un « bon client » dirait Bourdieu). Invité à s’exprimer, il l’a été moult fois en qualité de militant hors pair pour la liberté de la presse, d’éditorialiste, ou depuis 2014, de maire d’extrême droite à de Béziers. Il en ressort une certaine confusion quant à ses identités sur la scène médiatique. En effet, les sémiologues des médias, tels Guy Lochard, distinguent bien l’identité sociale des personnes présentes dans les médias (militant, maire) des identités médiatiques (journaliste, chroniqueur).

Au milieu des années 80, Robert Ménard fonde à Montpellier avec trois journalistes (Rémy Loury, Jacques Molénat, Émilien Jubineau) et le soutien de Rony Brauman l’association Reporters sans Frontières. L’idée au départ est de rendre visibles les conflits oubliés des médias. Au fil des années, l’association qu’il dirige s’oriente vers la défense de la liberté de l’information dans le monde et devient une ONG internationale de référence dans ce domaine.

Ses positionnements politiques fluctuants font débat, mais l’efficacité de ses campagnes de communication ne fait pas de doute, même si elles ne sont pas au goût de tous. Que l’on se souvienne de son sabotage du départ de la flamme olympique lors des JO de Pékin – évènement médiatisé par excellence. Que l’on songe à sa perturbation de la visite de Hafez al-Assad, à la tribune du défilé la même année.

Une chose est sûre, Ménard maîtrise parfaitement les codes de chaque média qu’il soit journaliste, « communicant » ou homme politique. La radio (il fonde une radio pirate, sera journaliste à Radio France Hérault, tiendra des chroniques à RTL et Sud Radio), la télévision (une expérience en tant que chroniqueur à Itélé), la presse écrite (journaliste de la presse locale, et actuel maître tout puissant du journal de la municipalité de Béziers), les réseaux sociaux qu’il utilise abondamment et last but not least l’affichage dont il use et abuse depuis 2014.

Dans sa stratégie, ces deux derniers médias, le journal municipal (tiré à plus de 40 000 exemplaires) ou l’affichage sont ce que l’on pourrait qualifier des « médias-tremplins ». Les exemples sont nombreux où Robert Ménard s’en est servi pour mener des campagnes de communication suffisamment scandaleuses – et immanquablement discriminatoires – pour que l’ensemble des médias s’en insurgent et s’en fassent les échos. Ainsi, c’est l’ensemble des médias qu’il mêle dans une « confluence médiatique » pour mettre en visibilité son sujet (lui-même ?) et, toujours, dans un contexte favorable à l’émergence d’une polémique à portée nationale.

L’art et la manière de faire polémique

La dernière actualité en date est éloquente. Sur les traces d’un Edward Bernays, l’un des pères de la propagande et de la publicité du début du siècle dernier, Ménard exploite de manière tactique l’affiche pour diffuser ses messages. C’est via le « vieux » média qu’il réussit son dernier coup d’éclat à ce jour. Rien d’improvisé dans sa démarche ; sa communication s’articule avec une question sensible et dans l’air du temps. Celle du moment est toute trouvée : la « violence faite aux femmes » est au cœur des débats sociaux suite à l’affaire Weinstein, du nom du producteur américain et violeur présumé d’actrices de premier plan.

À une époque où les individus sont submergés d’images et de messages médiatiques, l’attention est un bien précieux comme le rappelle le philosophe Yves Citton. Ménard en est bien conscient. Il lui suffira, le 11 décembre dernier, de faire placarder une série de cinq affiches « polémiques » à Béziers pour susciter la réaction de l’ensemble des médias et d’une partie de la classe politique autour du dossier controversé du TGV Occitanie.

Sur les quatre premières, la campagne utilise l’image de Lenine en référence au wagon plombé, ou bien encore celle plus parlante pour les jeunes générations du président Macron prenant l’avion (« Pas de TGV ? Prenez l’avion ! »), ou encore celle d’une femme allongée sur une table d’accouchement avec la légende « Alors le TGV, t’accouches ? ». L’affiche qui a fait mouche présente l’image d’une jeune femme ligotée sur une voie de chemin de fer avec un train arrivant dans sa direction et le texte suivant : « Avec le TGV, elle aurait moins souffert ! » Au-delà de son caractère outrancier et volontairement choquant, cette image renvoie à un imaginaire culturel : le public était prêt à la recevoir.

Le lendemain, les affiches étaient retirées et la campagne de communication avait été un succès : l’ensemble des médias avait relayé son opération et la polémique qu’elle avait suscitée… Comme notre communicant l’avait prévu dans son scénario bien rodé.

L’utilisation des affiches présente bien des avantages et poursuit plusieurs enjeux. De prime abord, l’affichage municipal est un média captif au même titre que le bulletin municipal, dans la mesure où la municipalité de Béziers, et par métonymie Menard, en a le contrôle. L’affichage municipal permet d’arguer d’une campagne de communication locale et donc de rester dans les prérogatives de l’action politique locale tout à fait légitime. Il s’avère que la fausse campagne de médiatisation biterroise autour d’une controverse locale (le TGV en Occitanie) est, en réalité, l’instrument d’une médiatisation à plus grande échelle – nationale – grâce au recours à la polémique. Cependant, cette médiatisation n’est-elle pas au service de la figure médiatique de Robert Menard plus que du dossier du TGV ?

La posture victimaire du pyromane

L’affiche, parce qu’elle figure au sein de l’espace public, peut être vue et relayée sur différents canaux. Ses pourfendeurs, tels la sénatrice Laurence Rossignol, la retweete, tant et si bien qu’elle finit par occuper l’espace public. Elle permet ainsi une réappropriation de ce dernier par Ménard à des fins idéologiques et politiques. Cet espace public pourrait être considéré comme agonistique, pour reprendre Hannah Arendt, fondé sur le combat ou la conflictualité. Ici, « média tremplin » avant de confluer vers les autres médias par l’entremise des réseaux sociaux, l’affiche a été performante.

Une fois le climax de la polémique atteint et l’image reprise par l’ensemble des médias – radio, TV, réseaux sociaux, presse écrite – s’engage alors la deuxième phase de la stratégie de communication Ménard : la posture victimaire.

Ainsi, en affirmant que la présence des affiches n’était « prévue dès le début que pour rester en place que 48 heures », Menard désamorce à la fois le risque d’une injonction judiciaire à retirer les affiches polémiques, tout comme il accrédite la thèse d’un coup de poing médiatique dans la lignée d’une guérilla marketing, et la nécessité d’utiliser ce type de procédé pour capter l’attention d’acteurs médiatiques plus coutumiers d’« une campagne institutionnelle comme les élus le font d’habitude ». La com’ est toujours dans l’air du temps, jamais routinière, peu importe la cause. De défenseur acharné de la liberté de la presse qu’il était, il se pose en victime scandalisée de la censure médiatique.

La pratique du raisonnement fallacieux

Du point de vue de la rhétorique, Robert Ménard fait usage de plusieurs procédés intéressants, qui relèvent pour la plupart de la généralisation, mais également la petitio principii, c’est-à-dire une pétition de principe ou un raisonnement fallacieux. Ainsi pour justifier l’affiche du « féminicide » (terme consacré par cette actualité, mais c’est un autre sujet), Ménard renvoie ses détracteurs à la présence de cette scène – une femme enchaînée à des rails – dans la culture populaire. Via les réseaux sociaux, il diffusera cette image reprise d’un film, d’un dessin animé et même de la pochette du dernier album de Taylor Swift. En effet, il « dégaine » cet argument après avoir soulevé la polémique qu’il avait programmée. L’usage d’œuvres de fictions pour faire valoir un message à portée politique procède d’un mélange des genres tout à fait propice à la controverse.

Girl Shy, film de 1924 et source d’inspiration pour la com’ de Robert Ménard.

Notons que Ménard est coutumier du recours à ce registre sémantique à la fois sexiste et populiste. En l’espèce, la présence de violence à l’encontre des femmes est une thématique récurrente de l’imagerie Ménard, ce qui ne manque jamais de faire réagir les acteurs du champ médiatique et politique. Que l’on se souvienne de la façon dont le journal municipal, en août 2015, avait illustré la victoire judiciaire de la mairie de Béziers contre la Ligue des droits de l’Homme (LDH) sur l’affaire de la crèche de Noël (un marronnier à Béziers depuis 2014). On trouvait en double page, l’image d’un vieux film en noir et blanc (Girl Shy, 1924) : une femme sur les genoux d’un homme prend une fessée ; et une légende : « Fessée judiciaire, visiblement le LDH y prend goût. »

L’orchestre des médias

Les outils et les stratégies de communication visant à apporter une visibilité à un message ne sont ni bons, ni mauvais en soi. La communication de Ménard reste efficace. Sa mécanique s’est perfectionnée au fil des années au service de l’ONG RSF. C’est, aujourd’hui, l’ensemble des médias qu’il orchestre pour mettre la lumière sur son action politique à la mairie de Béziers.

Sa stratégie est bien pensée : assez musclée pour choquer l’opinion, mais toujours dans les limites de la légalité. Ses victoires judiciaires alimentent, d’ailleurs, le répertoire argumentatif qu’il mobilise dans sa posture victimaire.

Les rappels aux principes de l’éthique sont sans aucun doute fondés pour s’opposer à une communication quand elle infériorise une catégorie de la population… Mais est-ce bien suffisant ?

The ConversationLa question qui se pose aux journalistes, et aux leaders d’opinion sur les réseaux sociaux, reste entière : comment ne pas être indifférent sans tomber dans le piège de la communication ?

Tourya Guaaybess, Maître de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication, chercheur au CREM, Université de Lorraine et François Allard-Huver, Maître de Conférences, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.